Interview du president de la CENTIF du niger, M. Hassane Taher

En janvier 2020, le Conseil des Ministres du Niger a adopté une série de projets de décrets visant à renforcer le dispositif de lutte contre le blanchiment d’argent et le financement du terrorisme. Ces textes réglementaires visent notamment à donner à la CENTIF la légitimité de conduire l’évaluation nationale des risques, dans la perspective du 2ème tour des évaluations mutuelles.

Enfin, en mai 2020, le Niger accueillera la Réunion plénière de la 33ème commission technique du GIABA. Touché de plein fouet par le terrorisme, exposé à différents trafics en tant que pays de transit, le Niger se donne les moyens de lutter contre ces fléaux.

OCWAR-M : Monsieur le Président, où en est le Niger dans la mise en place de son dispositif légal et réglementaire de lutte contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme ?

Président de la CENTIF : Le Niger appartient à une Union Monétaire dont les États membres sont convenus d’inscrire la LBC/FT parmi les défis communautaires. De ce point de vue, le Conseil des Ministres de l’Union Economique et Monétaire Ouest Africaine (UEMOA) a, lors de sa session tenue le 2 juillet 2015 à Bissau, adopté la Directive révisée n° 02/2015/CM/UEMOA relative à la LBC/FT dans les Etats membres. La révision des premiers textes adoptés au cours des périodes 2002-2003 et 2007-2008 vise à se conformer aux nouvelles recommandations du GAFI formulées en 2012, tout en tenant compte des spécificités des pays membres de l’Union.

Au niveau national, depuis 2004, le Niger s’est doté des cadres normatifs et institutionnels de lutte contre le Blanchiment de Capitaux et le Financement du Terrorisme qui ont considérablement évolué au fil du temps, traduisant ainsi l’engagement des pouvoirs publics à prévenir et éradiquer ces fléaux. Ainsi, le Niger a transposé la réglementation communautaire dans son ordonnancement juridique à travers la Loi n° 2016-33 relative à la LBC/FT adoptée par l’Assemblée Nationale et promulguée le 31 octobre 2016.

Les Autorités ont également approuvé le Décret n° 2017-097/PRN/MF du 17 février 2017 portant sur le gel administratif des fonds, biens et autres ressources financières dans le cadre de la LBC/FT. En plus de la transposition de ces textes communautaires en vigueur, le Niger a complété son arsenal juridique en matière de LBC/FT par plusieurs lois, décrets et arrêtés ministériels.

Toutes ces réformes ont permis au Niger de mettre en place un cadre législatif et réglementaire de LBC/FT robuste et conformes aux standards internationaux. Ainsi, ce cadre prend en compte notamment :

  • l’incrimination et la répression du financement d’un terroriste individuel, d’un groupe de terroristes ou d’une organisation terroriste pour toutes fins
  • l’incrimination et la répression du financement des combattants terroristes étrangers
  • le système de confiscation sans condamnation préalable au niveau de plusieurs infractions.

Sur le plan institutionnel, la création de la Cellule Nationale de Traitement des Informations Financières, du Service Central de Lutte contre le Terrorisme et la Criminalité Transnationale Organisée, du Service d’Enquêtes Economiques et Financières, du Pôle Judiciaire Spécialisé en Matière Economique et Financière, du Pôle Judiciaire Spécialisé en Matière de Lutte contre le Terrorisme et la Criminalité Transnationale Organisée, des Chambres spécialisées de contrôle et de jugement en matière économique et financière ainsi qu’en matière de lutte contre le terrorisme et la criminalité transnationale organisée, de l’Agence Centrale de Gestion des Saisies, Gels, Confiscations et des Recouvrements d’Avoirs, de la Cellule Nationale d’Entraide Pénale et de Coopération Judiciaire ainsi que de plusieurs structures qui s’occupent des infractions sous-jacentes au blanchiment des capitaux, à savoir :

  • la Haute Autorité de Lutte contre la Corruption et les Infractions Assimilées
  • l’Agence Nationale de Lutte contre la Traite des Personnes et le Trafic Illicite des Migrants
  • l’Office Central de Répression du Trafic Illicite de Stupéfiants
  • la Commission Nationale pour la Collecte et le Contrôle des Armes Illicites.

À cela s’ajoute l’institution de plusieurs Comités dans les domaines de la coopération et de la coordination nationale.

En tout état de cause, le Niger s’est résolument engagé à inscrire son cadre législatif, réglementaire et institutionnel en matière de LBC/FT dans une dynamique d’amélioration continue, à travers la mise en œuvre de réformes.

OCWAR-M : Quelles sont les principales vulnérabilités du pays ?

Président de la CENTIF : le Niger a adopté son Rapport d’Evaluation Nationale des Risques de BC/FT par le Décret N° 2019-401/PRN du 26 juillet 2019.  Il ressort de ce Rapport que le score global de vulnérabilité en matière de BC, après prise en compte des vulnérabilités et des poids des secteurs étudiés, se situe à 0,31 (31 %) sur une échelle de 0 à 1. Ce niveau de vulnérabilité au blanchiment des capitaux à l’échelle nationale s’explique notamment par :

  • L’importance du secteur informel dans l’économie
  • La prépondérance de la monnaie fiduciaire dans les transactions
  • L’exploitation frauduleuse du principe de la libre circulation des personnes, des biens, des services et des capitaux dans l’espace communautaire
  • la faiblesse du respect de la réglementation de change.

Sur la base des résultats obtenus sur les niveaux de risques de BC/FT, le pays a élaboré un plan d’actions visant à les maîtriser. La mise en œuvre de ce plan d’action, qui a connu un début d’exécution, devrait s’accélérer au cours de cette année 2020.

OCWAR-M : Le rôle de la CENTIF va-t-il au-delà de celui d’une cellule de renseignement financier ?

Président de la CENTIF : La création de la CENTIF s’inscrit dans le cadre de la mise en œuvre de la réglementation communautaire internalisée par la loi de 2004 d’abord et reprise ensuite dans la loi n° 2016-33 relative à la LBC/FT du 31 octobre 2016, qui balise les missions et attributions de la CENTIF ainsi que la composition et les modalités d’entrée en fonction de ses membres.

L’article 59 de cette loi érige la CENTIF en une Autorité Administrative indépendante. Aussi, l’Union a opté pour la mise en place des cellules de renseignements financiers (CRF) de type administratif. En l’état actuel de la réglementation communautaire et nationale, la CENTIF ne peut pas aller au-delà des missions assignées à cette catégorie de CRF.

Cependant, depuis 2016, des mesures visant à renforcer l’indépendance opérationnelle de la CENTIF sont prises. En janvier 2020, des textes réglementaires ont considérablement augmenté ses capacités d’intervention et ont accordé une protection spéciale à ses membres et à son personnel dans l’accomplissement de leurs missions. À cet égard :

  • la CENTIF collabore en toute indépendance avec d’autres autorités compétentes nationales ou avec des homologues étrangers
  • la CENTIF est l’autorité compétente chargée de coordonner la réponse nationale aux risques de blanchiment de capitaux et de financement du terrorisme
  • la CENTIF siège au sein du Comité Technique Consultatif en matière de Gel Administratif
  • les demandes d’informations financières émanant de la CENTIF et adressées aux personnes physiques ou morales sont assimilées aux réquisitions légales et le refus de s’y conformer est puni des peines d’emprisonnement et/ou d’amende.

OCWAR-M : les professions assujetties à la lutte contre le blanchiment d’argent sont-elles conscientes de leurs obligations ?

Président de la CENTIF : Oui, elles en sont pleinement conscientes. En effet, plusieurs actions de sensibilisation et de formation ont été réalisées par la CENTIF, les autorités de contrôle de ces personnes assujetties ainsi que par les partenaires techniques et financiers dont le GIABA, la Banque Mondiale, l’ONUDC et l’INTERPOL.

En outre, l’implication de toutes ces professions assujetties dans la mise en œuvre de chantiers d’élaboration des lignes directrices à l’intention des assujettis et leur pleine participation aux travaux de l’ENR conduits dans le pays, ont renforcé la prise de conscience de ces professionnels.

OCWAR-M : L’accueil de la prochaine plénière du GIABA permettra-t-il de poursuivre la sensibilisation des Nigériens sur ces enjeux ?

Président de la CENTIF : Oui bien sûr, le choix de mon pays pour abriter la trente-troisième réunion plénière de la Commission Technique et la vingt-deuxième session du Comité Ministériel du GIABA a été salué par les Autorités nationales. La CENTIF saisira cette occasion pour poursuivre la sensibilisation de tous les acteurs impliqués, y compris la société civile et le monde de la presse, sur les enjeux liés à la LBC/FT. En effet, les Autorités pourraient animer une conférence de presse à l’issue des cérémonies d’ouverture de ces deux importantes réunions statutaires des GIABA.

Les principales conclusions de cette conférence de presse devraient être relayées dans toutes les langues du pays. En outre, des dispositions seront prises pour convier toutes les catégories de presse (presse écrite, presse audiovisuelle et presse numérique) pour que l’information soit portée au sein de toutes les communautés en vue d’assurer un réel impact. En plus de ces conférences de presse, la CENTIF devrait saisir cette opportunité pour faire passer à l’endroit de toutes les populations, urbaines et rurales, une communication sur les principaux enjeux liés à la LBC/FT et la nécessité d’une étroite collaboration avec toutes les couches sociales.


  • GIABA : Groupement Intergouvernemental d’Action contre le Blanchiment d’Argent en Afrique de l’Ouest
  • LBC/FT : Lutte contre le Blanchiment de Capitaux et le Financement du Terrorisme
  • CRF : Cellule de Renseignement Financier
  • CENTIF : Cellule Nationale de Traitement de l’Information Financière (CRF). Désigne un certain nombre de CRF francophone
  • ENR : Evaluation Nationale des Risques
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  • En partenariat avec :