Témoignages de M. Serge HOUEDANOU, Secrétaire général de la CENTIF, et M. Benoit DJOSSOU, Directeur de l’Agrément et de la Réglementation de l’Agence nationale de surveillance des systèmes financiers décentralisés (ANSSFD).
Pourriez-vous s’il vous plait nous faire part de votre parcours et de votre expérience ?
Monsieur HOUEDANOU :
J’ai un parcours un peu atypique aussi bien dans mes études universitaires que sur le plan professionnel. D’abord sur le plan académique, dans les années 1990 j’ai débuté mes études universitaires à la Faculté des Sciences et Techniques de l’Université d’Abomey-Calavi au Bénin avant d’intégrer l’Institut National d’Economie de la même Université où j’ai reçu une formation d’informaticien Gestionnaire, Analyste-Programmeur. Ensuite, je me suis inscrit à la Faculté des Sciences Economiques et de Gestion (toujours à l’Université d’Abomey-Calavi) où j’ai obtenu une Licence en Science de Gestion et une Maîtrise en Management des Organisations.
Entre temps je suis rentré à la Banque Centrale des Etats de l’Afrique de l’Ouest (BCEAO) d’abord en qualité d’agent d’encadrement avant d’être admis au concours d’entrée au Centre Ouest Africain de Formation et d’Etudes Bancaires (COFEB) à Dakar au Sénégal, un centre spécialisé dans la formation des cadres de la BCEAO et des administrations publiques des Etats membres de l’UEMOA dans les domaines économique, financier et surtout bancaire. Au COFEB donc, j’ai subi une formation de cadre supérieur de Banque Centrale en spécialité « macro-économie ».
Après plus de 20 ans de carrière à la BCEAO où j’ai occupé différents postes et diverses responsabilités en tant que Chef de Service, j’ai été détaché auprès du Gouvernement du Bénin en tant que Représentant de la BCEAO au sein de la Cellule Nationale de Traitement des Informations Financières (CENTIF) où j’assume actuellement les fonctions de Secrétaire Général.
A ce titre, j’exerce plusieurs responsabilités en matière de mise en œuvre des obligations de Lutte contre le Blanchiment de Capitaux et le Financement du Terrorisme (LBC/FT) par tous les acteurs publics et privés impliqués notamment, les institutions financières, les entreprises professionnelles non financières désignées, les autorités de contrôle et de supervision, les autorités d’enquêtes et de poursuites pénales.
Au niveau national, j’ai assumé plusieurs charges importantes dont :
- Coordonnateur National du Comité en charge de l’Evaluation National des Risques (ENR) du blanchiment de capitaux et du financement du terrorisme du Bénin
- Coordonnateur du Comité national de suivi du processus de l’évaluation mutuelle du dispositif de lutte contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme du Bénin.
Par ailleurs, en tant que Spécialiste certifié ACAMS en prévention et en détection du crime financier (l’ACAMS est la plus importante organisation internationale à adhérents, dédiée à la certification dans le domaine du crime financier en particulier de la LBC/FT), je me suis spécialisé en expert formateur de LBC/FT. Outre la formation des assujettis sur le dispositif de prévention du BC/FT et les obligations en matière de LBC/FT que j’anime pour le compte de la CENTIF, j’interviens aussi en tant que consultant individuel pour assurer des formations au profit des autorités d’enquêtes et de poursuites pénales sur les techniques d’investigation et de détection et la répression du crime financier notamment le BC/FT, la corruption et ses infractions connexes, la fraude fiscale, etc. Je suis également évaluateur du GIABA pour les évaluations mutuelles des dispositifs de LBC/FT de ses Etats membres.
Monsieur DJOSSOU :
J’ai fait mes études universitaires à l’Ecole Nationale d’Economie Appliquée et de Management (ENEAM) et obtenu le Diplôme de Technicien Supérieur en Gestion des Banques en (2005) ainsi qu’un Master en Contrôle de Gestion Audit et Finance (2011) dans la même université. Toujours dans la quête de connaissance plus pointue dans mon domaine professionnel, j’ai enclenché en 2014 le cursus de l’Expertise Comptable et obtenu en 2019, mon Diplôme Supérieur de Gestion et de Comptabilité (DSGC) à l’INTEC-Paris.
Au plan professionnel, après mes études supérieures, j’ai servi au Centre de Recherche et d’Appui-Conseil pour le Développement (CRAD) de 2007 à 2008 au poste de Directeur administratif et financier (DAF) avant d’être admis au concours des Agents permanent de l’Etat en 2008 dans le corps des Attachés des services financiers. Affecté au Ministère de l’économie et des finances, j’ai pris service le 16 février 2009 à l’Agence nationale de surveillance des systèmes financiers décentralisés (ANSSFD). Après avoir officié en tant que cadre, j’ai été nommé en janvier 2014 au poste de Chef de la Division Vérification avant d’être promu au poste de Directeur de l’Agrément et de la Règlementation en novembre 2015. J’ai bénéficié de plusieurs formations qualifiantes notamment en matière de lutte contre le blanchiment des capitaux et le financement du terrorisme (LBC/FT). Désigné par ma structure comme le point focal de la CENTIF sur les questions liées au BC/FT, j’ai participé à plusieurs séminaires organisés par la CENTIF dont notamment les travaux préparatoires et de validation de l’Évaluation Mutuelle du Bénin réalisée en février 2019.
Il convient de souligner qu’en raison de la spécificité de ma structure qui est un organe de contrôle du secteur de la microfinance, j’assume également depuis 2009 le rôle d’inspecteur en participant à plusieurs missions de contrôle sur place dont les diligences portent souvent sur la mise en œuvre par les SFD de leur dispositif LBC/FT.
Par ailleurs, j’interviens également dans nos universités nationales depuis 2013 où j’enseigne les matières telles que la comptabilité des institutions de microfinance, le contrôle interne ainsi que la réglementation du secteur de la microfinance.
En qualité de Secrétaire Général, pouvez-vous nous préciser en quelques lignes le rôle de la CENTIF au Bénin ?
La CENTIF est un service de renseignement financier de type administratif à compétence nationale, placée sous la tutelle du Ministre chargé des Finances mais qui dispose d’un pouvoir de décision autonome sur les matières relevant du blanchiment de capitaux, du financement du terrorisme ou de la prolifération des armes de destruction massive. Comme toutes les cellules de renseignement financier du monde, la CENTIF du Bénin a pour mission principale de collecter, d’analyser et de traiter des renseignements propres à établir l’origine des transactions ou la nature des opérations faisant l’objet de déclarations de soupçon qui lui parviennent de ses assujettis. A cet effet, la CENTIF joue donc un rôle central et capital dans le déclenchement de l’action publique contre le Blanchiment de Capitaux et le Financement du Terrorisme (BC/FT) et par conséquent, contre les infractions ou crimes sous-jacents.
Mais la CENTIF du Bénin remplit aussi une mission stratégique à travers la formation des assujettis financiers et non financiers, des autorités d’enquêtes et de poursuites pénales et des autres acteurs et des parties prenantes impliqués dans la LBC/FT. Elle s’implique également très activement dans les projets de réformes visant le renforcement du dispositif LBC/FT et émet des avis ou conseils sur la mise en œuvre de la politique nationale en matière de lutte contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme.
Par ailleurs, la CENTIF assure au niveau national la coopération et la concertation des autorités directement ou indirectement concernées par la lutte contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme et autre au niveau international, la relation avec les réseaux de CRF auxquels elle appartient en vue de l’efficacité de la mise en œuvre de la lutte contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme.
Comment la CENTIF accompagne les banques et les SFD au Bénin ?
De façon générale, la CENTIF accompagne tous les assujettis financiers et non financiers dans la mise en place de leurs programmes de conformité LBC/FT.
En ce qui concerne le secteur financier, les banques en particulier, tenant compte de leur taille prépondérante dans l’économie nationale, la CENTIF a accentué la sensibilisation et les ateliers de formations à leur profit mais aussi au profit des SFD de grande taille car cet ensemble représente à lui tout seul, plus de 90% des parts des transactions financières de l’économie béninoise. Ainsi, ces programmes renforcés de formations spécialisés déployés par la CENTIF au profit des banques et SFD de grande taille, ont produit des résultats satisfaisants. Ces institutions financières ont su mettre en place des dispositifs de conformité LBC/FT renforcés. Il est connu aujourd’hui par plusieurs autorités nationales ou sous régionales que grâce aux actions de la CENTIF, les banques du Bénin respectent de leurs obligations de LBC/FT et mettent rigoureusement en œuvre les mesures préventives. En effet, les statistiques de la CENTIF et même celles contenues dans les rapports du GIABA, prouvent que le nombre de DOS et DOE a considérablement accru et ces DOS et DOE proviennent essentiellement des banques.
En conclusion, si globalement les banques du Bénin ont une bonne compréhension des risques de BC/FT et ont mis en place des dispositifs de conformité LBC/FT acceptables, au niveau des SFD, les résultats sont encore mitigés et le besoin de formation des acteurs sur les mesures de LBC/FT reste important malgré les rencontres et sensibilisations organisées par la CENTIF.
En qualité de Directeur de l’Agrément et de la Réglementation auprès de l’Agence nationale de surveillance des systèmes financiers décentralisés (ANSSFD) pouvez-vous nous dire quelques mots sur l’état de la microfinance et des SFD au Bénin ?
Au Bénin, le secteur de la Microfinance connait une croissance soutenue depuis plusieurs années. Il faut souligner qu’au 31 décembre 2019, le niveau de l’encours de crédit a franchi le seuil des 170 milliards de FCFA avec un encours de dépôts de près de 120 milliards de FCFA et ce, en dépit du contexte difficile dû à la fermeture des frontières par le Nigéria ainsi que les opérations de déguerpissement opérées par le Gouvernement béninois. Le secteur est animé par 112 institutions agréées par le Ministre chargé des Finances qui desservent plus de 2,4 millions de clients toutes catégories confondues. Cependant, il importe de noter que le secteur est fortement concurrencé par des institutions informelles depuis des décennies ce qui a conduit l’Autorité à élaborer en 2013 une stratégie nationale d’assainissement du secteur de la microfinance précédée de la mise en place d’un Comité de Stabilité Financière (CSFASM) dont le rôle principal est d’identifier et de fermer les structures qui exercent en marge de la règlementation. Les travaux dudit comité ont porté leurs fruits car, de 495 structures illégales recensées en 2011, on est passé à 38 en 2019. Cette prouesse permet d’offrir à nos structures formelles un cadre beaucoup plus sain dans lequel elles pourront exercer convenablement leur activité et jouer pleinement leur mission sociale.
Cependant, il convient de souligner qu’outre les SFD de grande taille qui ont plus ou moins une connaissance de leurs obligations en matière de LBC/FT, la mise en œuvre réelle du dispositif LBC/FT par l’ensemble des SFD n’est pas encore effective au Bénin. En effet, même si tous les SFD disposent d’un manuel de LBC/FT en respect des exigences légales, ces manuels ne sont souvent pas conformes aux exigences attendues des normes de conformité LBC/FT et la plupart (notamment les SFD de petite taille qui sont prédominants) ne mettent même pas en œuvre les quelques dispositions contenues dans ledit manuel.
Quel est rôle joué par l’ANSSFD pour renforcer le secteur ?
Au Bénin, l’encadrement du secteur est de la compétence de deux ministères à savoir celui en charge de la Microfinance à travers les actions de promotion du secteur et celui chargé des Finances qui assure la surveillance. L’ANSSFD étant le bras opérationnel du Ministre chargé des Finances, son principal rôle est la surveillance du secteur à travers la prévention, la supervision et la protection des épargnants. Les diverses interventions de l’ANSSFD ont pour objectif ultime de professionnaliser le secteur en amenant les dirigeants à améliorer au quotidien leurs différents outils de gestion. Ceci, permettra d’atténuer leur exposition au risque financier et d’asseoir un dispositif de gestion devant garantir leur pérennité financière de façon durable.
Aussi, convient-il de souligner que l’ANSSFD sensibilise, lors de ses différentes missions, les dirigeants des SFD à mettre en œuvre diligemment leur dispositif de LBC/FT. A cet effet, l’ANSSFD a revu son approche d’intervention par la notification à la CENTIF des manquements observés par les SFD sur la loi LBC/FT en vue de la prise de mesures idoines par les Autorités compétentes.
Qu’attendez-vous tous les deux du projet OCWAR-M en la matière ?
Le développement et la consolidation du secteur de la microfinance au Bénin comme dans toute la sous-région nécessite d’importants moyens (techniques, financiers et humains) de telle manière que l’appui des partenaires techniques et financiers permet de renforcer les efforts constants du pouvoir public. Au regard des risques élevés identifiés dans le secteur lors de l’évaluation nationale des risques de BC/FT, le projet OCWAR-M peut apporter son expertise, ses appuis techniques et financiers au secteur de la microfinance notamment le renforcement des capacités des acteurs, l’élaboration des manuels de procédures conformes et aussi l’accompagnement technique dans la mise en œuvre effective des systèmes de profilage des clients et de suivi des opérations suspectes.
C’est d’ailleurs la démarche entreprise par Expertise France qui met en œuvre le projet OCWAR-M et que nous saluons. En effet, il est prévu d’impliquer les experts nationaux dans l’organisation d’ateliers techniques au Bénin.