Dans cette édition focus sur la Côte d’Ivoire !
M. Romain Ouattara, coordonnateur de l’évaluation mutuelle actuellement menée par le Fonds Monétaire International (FMI) dans ce pays, nous parle des évolutions de la chaîne pénale LBC/FT ivoirienne ces dernières années et de l’appui apporté par OCWAR-M aux acteurs qui la composent.
Les institutions de la chaîne pénale LBC/FT de la Côte d’Ivoire ont connu d’importantes évolutions ces dernières années. Pourriez-vous nous les présenter ?
Les dernières évolutions institutionnelles de la chaîne pénale sont le fruit d’un processus qui résulte de la politique pénale mise en place par les autorités politiques du pays.
En effet, deux institutions majeures ont été créées au cours de la même année 2022. Ce sont le Pôle Pénal Économique et Financier (PPEF) et l’Agence de Gestion et de Recouvrement des Avoirs Criminels (AGRAC).
Pour rappel, à la fin de l’année 2018, un Cabinet d’instruction du Tribunal d’Abidjan a été érigé à titre expérimental en un cabinet spécialisé chargé du traitement des affaires liées au BC/FT. Cette phase d’expérimentation ayant été concluante, le décret n°2020-124 du 29 janvier 2020 a créé, au sein du Tribunal de première instance d’Abidjan, le PPEF dédié à l’instructions des infractions économiques et financières d’une gravité ou d’une complexité particulière.
Au regard de l’accroissement du nombre d’affaires traitées et transmises en jugement, une chambre de jugement spécialisée, dédiée aux procédures instruites par le Pôle Pénal Économique et Financier a été créée par décret n°2021-242 du 26 mai 2021.
Après deux années de fonctionnement et dans le souci d’améliorer les résultats déjà visibles du PPEF, la loi n°2022-193 du 11 mars 2022 portant création, organisation, et fonctionnement du PPEF a été adoptée pour en faire une juridiction pénale autonome de premier degré chargée de la poursuite, de l’instruction et du jugement des infractions économiques et financières présentant certains critères de gravité et de complexité.
Cette loi prévoit également la création, auprès du PPEF, d’une unité spécialisée police judiciaire chargées des enquêtes sur les affaires de sa compétence. Celle-ci sera opérationnelle très bientôt.
Pour ce qui est de la seconde institution, l’Agence de Gestion et de Recouvrement des Avoirs Criminels (AGRAC), ses attributions, son organisation et son fonctionnement ont été fixées par le décret n° 2022-349 du 1er juin 2022, modifié par le décret 2022-982 du 21 décembre 2022.
Cette institution majeure, qui vient doter le dispositif national de LBC/FT d’un organe permettant d’assurer l’effectivité de la peine en ce qui concerne ses aspects patrimoniaux, va assurer davantage l’efficacité des efforts des acteurs de la chaîne pénale. Avant l’avènement de l’AGRAC, les missions de recouvrement et de gestion des avoirs criminels étaient assurées par l’Agent Judiciaire de l’État (AJE) qui a passé la main au Directeur général de la nouvelle Agence le 9 septembre 2022. L’agence est en pleine opérationnalisation.
En quoi ces évolutions étaient-elles nécessaires, et quelles améliorations ont-elles permises ?
L’avènement de ces deux institutions apparaît comme une opportunité pour le dispositif de LBC/FT de s’affirmer davantage grâce à des institutions dédiées : l’une aux enquêtes, poursuites et jugements des affaires de BC/FT et autres infractions sous-jacentes au BC, et l’autre au recouvrement et à la gestion des avoirs dont le gel, la saisie ou la confiscation a été prononcé par le PPEF. Il s’agit là de deux institutions interdépendantes qui, en fin de chaîne, permettent de déposséder le criminel du fruit de son crime, de sorte que son activité criminelle ne soit plus rentable.
En outre, l’avènement de ces deux institutions de la chaîne pénale a constitué une véritable aubaine pour le dispositif LBC/FT du pays, dont l’évaluation par les experts du FMI est en cours. Le projet de rapport d’évaluation mutuelle (REM) relève par exemple que « depuis la création du PPEF, la dynamique semble excellente, emmenée par cette juridiction spécialisée qui a donné un nouvel élan aux poursuites contre la criminalité organisée et le blanchiment. Les statistiques des poursuites et des condamnations témoignent de cette nouvelle dynamique, et le taux de poursuites et de condamnations par rapport aux enquêtes ouvertes est très élevé. »
De plus, le projet de REM indique que « les autorités judiciaires se sont bien approprié les dispositions relatives à la confiscation et en ont fait un axe prioritaire de leur action, en prononçant de telles décisions dans la grande majorité des condamnations pour BC. Des décisions de confiscation en valeur équivalente ont été prononcées ainsi que des décisions de confiscation complexes ».
Sur cette base et au regard des résultats obtenus par le PPEF et l’Agent Judiciaire de l’État, le troisième projet de REM qui sera discuté à la plénière du GIABA de mai 2023 propose, à ce stade du processus, des notes modérées pour les résultats immédiats 7 (enquêtes et poursuites en matière de BC) et 8 (confiscations).
Pourriez-vous nous parler de l’accompagnement proposé par OCWAR-M aux acteurs de la chaîne pénale LBC/FT ivoirienne ?

Le projet OCWAR-M s’est positionné comme l’un des partenaires majeurs du renforcement des capacités des acteurs de la chaîne pénale LBC/FT en Côte d’Ivoire, où il a notamment formé un pool d’experts. On y retrouve :
- Blanche ABANET, Présidente du PPEF (anciennement doyenne des juges d’instruction du PPEF)
- Romain OUATTARA, Magistrat, Membre de la CENTIF
- Commissaire divisionnaire major Idrissa DIARRASSOUBA, Membre de la CENTIF
- Djénéba KONATE épouse EDOUKOU, Procureure de la République Adjointe au PPEF
- Commissaire principal de police Dodo Philippe ATSE, Sous-directeur de la brigade économique et financière de la Police nationale
Ils ont pris part à une série de formations de formateurs constituée de cinq piliers portant sur la détection de l’infraction, les investigations, la saisie et le recouvrement des avoirs criminels, l’entraide pénale et le jugement.
Cette formation de formateurs a eu d’inédit le champ des matières qu’elle couvrait de même que la qualité des experts régionaux et internationaux qui ont animé les sessions. Cette formation de formateurs a également ceci de spécifique que les formateurs formés ont le devoir de dispenser aux acteurs de la chaîne pénale nationale une formation sur les cinq piliers.
En raison de l’engagement du pays dans le processus d’évaluation mutuelle en cours, les sessions de formations des acteurs de la chaîne pénale seront mises en œuvre après l’adoption du REM (mai 2023) dont le troisième projet comporte des recommandations relatives à la formation des acteurs de la chaîne pénale. Autant dire que le projet OCWAR-M et ses animateurs, que je remercie encore pour l’opportunité accordée à la Côte d’Ivoire, ont su anticiper les besoins du pays.